Tribune parue dans LA TRIBUNE le 5 juillet 2004
GEORGES SARRE
Ancien Ministre, Porte-parole du Mouvement Républicain et Citoyen
« En finir avec la désindustrialisation »
Les propos
de Gerhard Schröder, qui accusait récemment Nicolas Sarkozy de
"nationalisme" au sujet d'Alstom, n'auront ému personne. Les gouvernements
ont évidemment le devoir de promouvoir les intérêts nationaux. Et la
légitime inquiétude des peuples allemand et français face à la fuite en
avant libérale, à la destruction de leurs modèles économiques et à la
désindustrialisation, forme un contexte particulièrement propice à de vifs
échanges.
Bien sûr,
le Ministre de l'Economie et des Finances a eu le mérite d'éloigner
provisoirement la prise de contrôle d'Alstom par Siemens. De cette
opération, nous ne pouvons qu'attendre de douloureuses restructurations,
de délicats problèmes d'arbitrage au sein de Siemens entre les programmes
ferroviaires TGV et ICE et une dépendance excessive du nucléaire français
envers Siemens.
Mais
pourquoi en rester là? Le sauvetage d'Alstom et la relance industrielle
supposent un véritable engagement politique de l'Etat, articulé autour de
trois axes.
Premièrement, la France et l'Allemagne doivent tirer toutes les
conséquences de l'indigence communautaire en la matière. La construction
européenne est un biais structurel du libéralisme le plus dogmatique,
aujourd'hui figé définitivement par le projet de constitution. A quelques
exceptions rares et souvent limitées, l'action communautaire en direction
de l'industrie consiste à appliquer les préceptes désuets de la
concurrence à tout prix et du libre-échange.
Encouragée
par le lobbying prédateur quoique naturel de Siemens, la Commission
européenne s'est ainsi opposée à l'adossement d'Alstom à Areva et a tout
fait pour minorer les aides de l'Etat. Mais que Siemens ne se méprenne
pas: son éventuel rachat d'Alstom se heurterait aux préceptes
communautaires en matière de concurrence et faciliterait la pénétration
nord-américaine de ses principaux marchés européens.
Deuxièmement, une politique industrielle ambitieuse doit prendre en compte
les réalités nationales sur lesquelles vivent les citoyens et les
entreprises. Concrètement, la France et l'Allemagne doivent mettre un
terme à la fuite en avant libérale que l'on retrouve dans les concepts
d'attractivité et de mise en concurrence des territoires. Les obsessions
de réduction des coûts du travail et de la fiscalité seront funestes à nos
deux sociétés. S'il est envisageable de compenser quelque peu le dumping
de certaines régions, c'est surtout le travail sur les facteurs endogènes
de la croissance qui doit faire l'objet de tous les efforts. Nous devons
être capables de générer notre propre capital physique, humain,
technologique et public en valorisant nos organisations de la société, du
système d'éducation, des filières industrielles, des infrastructures
publiques etc.. Le cadre national et ses spécificités sont dès lors
incontournables.
Alstom et
le marché de l'énergie en offrent une belle illustration. Alors que la
France s'apprête à confirmer le choix du nucléaire, nous devons nous
attacher à sauver notre modèle énergétique, dont la modicité et la
sécurité représentent un exceptionnel facteur endogène de compétitivité.
L'approche industrielle que nous souhaitons mais que nous ne pouvons
imposer à nos voisins prend au moins quatre directions: le retour sur la
libéralisation, le refus la privatisation, la recherche d'une cohérence
entre les acteurs industriels de la filière et l'adossement d'Alstom à
Areva. Il est en effet souhaitable que cette dernière, dont l'expertise en
matière de construction de centrales nucléaires se limite au réacteur,
bénéficie du savoir-faire d'Alstom pour la partie conventionnelle.
Aujourd'hui, la dépendance excessive d'Areva envers Siemens pour cette
partie est un facteur de risque d'autant plus important que l'hostilité de
l'opinion publique allemande au nucléaire ne se dément pas.
Troisièmement, bien que mise en œuvre à l'échelle nationale, la politique
industrielle doit aussi pouvoir, lorsque la volonté politique rencontre
l'opportunité économique, s'ouvrir à la coopération internationale autour
de grands projets. Nous parlons bien dans un premier temps de coopération
sur le modèle d'Airbus: en concevant de grands projets, soutenus au besoin
par la commande publique, les Etats peuvent encourager leurs entreprises à
coopérer. La mise en commun de savoir-faire dans une perspective de
croissance est bien plus enthousiasmante et rassurante que la mise en
œuvre d'une consolidation dans la seule perspective d'une réduction des
coûts!
Là encore,
Alstom et Siemens fournissent de considérables opportunités de
coopération. Adossé à Areva, Alstom pourrait coopérer avec Siemens, la
SNCF et Deutsche Bahn, sur un programme de train à grande vitesse de IVe
génération pour 2010. Initié il y a quatre ans, ce programme doit être
relancé par les Etats et éventuellement complété par un volet de fret
ferroviaire.
Pour en
finir avec la désindustrialisation, l'Allemagne et la France n'ont pas
besoin de plus de libéralisme mais d'une action publique volontariste
ancrée dans les réalités nationales et ouverte sur la coopération
internationale.
Tribune parue dans FRANCE
SOIR le 3 juillet 2004
GEORGES SARRE
Ancien Ministre, Porte-parole du
Mouvement Républicain et Citoyen
« EDF face au libéralisme
aveugle »
Madame Loyola de Palacio veut qu’EDF soit géré comme Renault. Elle
veut que les emprunts d’EDF ne soient pas garantis par l’Etat. Elle veut
« qu’EDF puisse être mis en faillite comme Renault », comme n’importe
quelle autre entreprise.
Supposons un instant que, par malheur, Renault tombe en faillite, ce
serait une catastrophe industrielle et sociale. Mais, bien vite, d’autres
constructeurs d’automobiles proposeraient en remplacement leurs propres
produits sur le marché. Supposons maintenant qu’EDF tombe en faillite, ce
serait une apocalypse nationale. Sans électricité, aujourd’hui, quasiment
toute activité, non seulement économique, mais aussi domestique
s’arrêterait dans le pays.
Les idéologues libéraux diront que la concurrence pourvoira à cette
défaillance. Encore faut-il que les entreprises concurrentes disposent des
capacités de production suffisantes pour suppléer, tout en continuant à
alimenter leurs clients habituels. Encore faut-il que le réseau de
transport de l’électricité soit capable d’assurer ce surcroît de transit.
Les cyniques demanderont alors à l’Etat de faire son devoir et de
réquisitionner les moyens de production de l’entreprise en faillite, pour
qu’ils continuent à fonctionner. Les problèmes financiers dus à la
faillite seront réglés par ailleurs.
On voit bien la différence que Madame de Palacio semble ignorer.
Devant une faillite de Renault, l’Etat pourrait se limiter à une
intervention de nature sociale. Face à une faillite d’EDF, l’Etat devrait
prendre le contrôle des moyens de production. Les électrons ne se
confondent pas avec les automobiles. Madame de Palacio et autres sont
aveuglés par leur idéologie libérale.
En réalité, dans ce débat sur EDF, il faudrait distinguer trois
stades : la nature de l’électron, le régime judiciaire de l’électron, et
l’utilisation de l’électron. La nature de l’électron dépend de la seule
science physique. L’électricité ne se stocke pas. Bien que se déplaçant à
la vitesse de la lumière, l’électricité se transporte difficilement. Cette
double réalité impose le monopole. C’est si vrai que personne, même à
Bruxelles, n’a imaginé de mettre en concurrence les réseaux de transport
et de distribution. Or, en France, le coût de cet acheminement, qui reste
un monopole, représente 50% du prix de revient de l’électricité consommée
par un particulier. La part de la production est de 45%. Comme il n’existe
plus de sites hydroélectriques disponibles et que le nucléaire fournit
l’électron le moins cher possible, on ne peut espérer baisser encore les
coûts de production. La concurrence ne peut donc porter que sur les 5%
restant, dits frais de commercialisation. Or, on voit bien que ceux-ci ne
peuvent qu’augmenter avec le marketing et la publicité. De plus, avec la
privatisation, il faudra bien rémunérer les actionnaires.
Il n’est donc pas étonnant que les industriels commencent à
s’inquiéter. D’ailleurs, les exemples étrangers leur montrent qu’ils ont
raison.
Avant que l’idéologie néo-libérale s’empare de l’Occident, il y a
une vingtaine d’années, l’électricité était partout gérée sous forme de
monopole. Dans certains pays, il y avait déjà plusieurs sociétés, mais
chacune avait son territoire. L’Etat veillait pour que de telles
situations ne conduisent pas à des abus. Car, notamment aux Etats-Unis ou
en Allemagne, ces sociétés étaient privées. En France, conformément au
préambule de la constitution depuis 1946, les monopoles doivent être gérés
par des entreprises publiques.
Ce régime juridique a permis une utilisation judicieuse de
l’électron au non du service public. Il a été un facteur important
d’aménagement du territoire avec la péréquation tarifaire. Il a été un
élément de la cohésion sociale avec l’égalité entre les consommateurs. Il
a été un instrument du développement économique en fournissant un produit
de qualité au moindre prix. Il a été un levier qui a entraîné et impulsé
toute l’industrie française d’abord avec les grands barrages
hydroélectriques, ensuite avec le programme nucléaire.
Le courage en politique est de savoir reconnaître ses erreurs. La
solution sage serait de revenir à la situation antérieure, avec peut-être
quelques aménagements de détail. Une telle solution provoquerait des
tensions avec Bruxelles. Mais, au nom du principe de subsidiarité, chaque
pays devrait pouvoir organiser comme il l’entend son système électrique.
Si certaines pensent que leur idéologie libérale peut surmonter les lois
de la science physique, laissons-les dans leur coûteuse illusion. Mais,
évitons d’être leur mouton de Panurge. Restera à régler le problème
secondaire posé par certains investissements inconsidérés d’EDF à
l’étranger.
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