NOTRE ECOLE REPUBLICAINE

Par Lucien PONS

 

Par des moyens habiles et pernicieux ce qui constituait dans notre pays un vitrine humaniste aux yeux de tous est en train d être démantelé et vidé de sa substance.

 

A qui veut-on faire croire que l abaissement du nombre d heures de cours dans beaucoup de matières permettrait un progrès substantiel dans la pédagogie de ces disciplines ? Cela peut-il améliorer la bonne marche d une école de qualité, soucieuse de la transmission des savoirs fondamentaux ?

 

Le discours officiel est toujours très positif : l intérêt des élèves, la réussite de tous, la bonne orientation, comme si nous avions ignoré tout cela jusqu à aujourd hui

 

Mais il est facile de constater, lorsqu on est confronté aux vicissitudes de l école publique que ce n est pas le cas : l illettrisme progresse, le manque de goût pour le travail scolaire, pour les efforts, pour la rigueur s accentue de plus en plus chez tous les élèves. Dans le même temps la violence à l école ; autant que l impunité ; s étendent à pas de géant. Nous sommes la première génération dans l histoire à offrir à nos enfants une vie bien plus dégradée que celle que nous vivons.

 

Et si cela était un plan élaboré consciemment dans les « boîtes à penser » française et américaine qui nous valent aujourd hui tant de « bonheur » : régression sociale, économique, culturelle &? Cela dans l unique but de créer un sentiment de défiance à l égard du service public d éducation afin d atteindre deux objectifs fondamentaux : la baisse des coûts et le nouveau marché qui s offre.

 

Les parents ont de plus en plus la certitude que l école de la République ne remplit plus ses missions fondamentales. Et, à contrecoeur, ils commencent à envisager de mettre leurs enfants ailleurs c est à dire dans le privé, qui n a pas encore montré son vrai visage. Actuellement l école privée racole en faisant croire qu elle est au service de tous et qu elle pallie aux carences du service public - ce qui est loin d être faux en demeurant. Mais, lorsque la bataille sera définitivement gagnée, nous verrons de vraies écoles privées, soutenues par de bonnes publicités, abattre leurs cartes ; et l horreur prendra forme : la marchandisation de l école sera effective.

 

Pour survivre, le service public de l éducation, qui sera dévalorisé de fait, n aura plus les fonds nécessaires pour fonctionner (il suffit pour cela d accorder ce que beaucoup de députés demandaient en juin 2003 : donner à chaque famille un chèque éducation &). Il devra frapper à la porte de certaines entreprises privées déjà prêtes à accueillir les VRP de l éducation (ce n est pas de la science fiction : au nom du rapprochement école entreprises, le projet FERRY a déjà prévu que certaines écoles professionnelles pourront être dirigées par des chefs d entreprises, ndlr).

Les parents qui auront de gros moyens inscriront naturellement leurs enfants dans de vraies écoles privées.

Les parents issus de la grande majorité des classes moyennes s endetteraient, s il le fallait, pour offrir des études dignes de ce nom à leurs enfants.

Pour les autres ils resteront à l école publique.

La logique ultra libérale est là : aux portes de l école. Osons la regarder. Osons en parler. Osons l affronter. Osons dire non !

 

La question est de savoir comment faire mieux avec moins d heures de cours et des élèves qui, de plus en plus, passent de classe en classe sans avoir le niveau.

 

Le projet envisagé y répondait à sa manière en proposant trois épreuves communes par an et par niveau, ceci afin d harmoniser les notations et les enseignements, les courbes d évaluation devant être lissées. Entendez par là que des notes moyennes doivent être mises pour toutes les classes, qu elles soient bonnes ou mauvaises. Car, dans cette logique, il est bien évident que si la classe n atteint pas une moyenne de 1 0 / 2 0 à chaque devoir c est que l enseignant est très mauvais car il n a pas su adapter son enseignement à chaque public. Dans cette école idéale, digne du meilleur des mondes, le rôle de professeur est indiscutablement de servir le système et non de servir les élèves. Curieuse conception de la pédagogie !

 

Mais il est vrai que l on diminue les postes aux concours, et ce, malgré les vagues attendues de départ la retraite. Mais il est vrai qu avec les nouvelles technologies, il sera facile de former un professeur de math (ou autre) en une semaine. Il est vrai qu il sera très facile de recruter de bons professeurs issus de la « société civile » et non des « fabriques de marxistes » que sont les universités&

 

Si ces évaluations que nous sommes censés contrôler se mettent en place et ne peuvent pas fonctionner efficacement cela veut dire que l on va, non pas donner les moyens nécessaires pour améliorer le système mais obliger les enseignants à & revoir leurs copies !

 

La méthode est simple : on commence par dénigrer tout ce qui se passait avant; on culpabilise chaque enseignant en lui signifiant qu il n est pas bon et que toute la faute vient de lui. On propose enfin une solution pour limiter la casse : les nouvelles évaluations et pour couronner le tout on propose ou on impose de nombreuses concertations pour le seul vrai travail : le travail en équipe, qui permettrait de réfléchir sur les objectifs à atteindre par tous et au même moment et surtout d évaluer correctement (comprendre : mettre la moyenne).

 

L école, un des bastions de la République, est en train d être attaquée de façon très sournoise mais ô combien efficace.

 

Ne voyons nous pas poindre les slogans véhiculés courant 2003 pour mettre au pas ces « professeurs irresponsables » ? Ne voyons nous pas la tentative de tout harmoniser, donc d enlever à chaque professeur sa liberté pédagogique, voire sa liberté de pensée ? Ne voyons-nous pas se dessiner cette fameuse évaluation des professeurs ? Selon quels critères va-t-on juger un professeur méritant ? (Penser à la logique comptable pour trouver la réponse). Ne voyons-nous pas se dessiner le statut de professeur de l école publique nouvelle formule ? Il sera polyvalent, interchangeable, précaire, soumis à l autorité du chef d établissement.

 

Prenons le temps de la réflexion avant de changer radicalement nos pratiques pédagogiques.

 

Osons être novateurs pour une fois : ne changeons rien de ce qui fonctionne bien !

 

 

En 2007 que restera-t-il de l’hôpital public ?

par Patrick NIVET

Praticien hospitalier, délégué INPH Aquitaine

 

Chacun le sent bien, l’hôpital public est un recours ressenti comme indispensable par la population ; C’est sans doute ce qui explique l’activité régulièrement importante des services d’urgence, embouteillés en cas de crise sanitaire aigüe (tempête 1999, canicule 2003) mais aussi les indices de satisfaction (91% d’opinions positives était le chiffre retenu dans une émission de télévision grand public récente (France 2 Thierry Ardisson décembre 2003).

 

La difficulté actuelle n’est pas la sous-activité de nos services, même s’il y a des situations variées, mais à beaucoup d’égards, celle de satisfaire une demande de prise en charge soutenue quelque que soit la période de l’année.

 

Beaucoup de facteurs y concourent. Citons :

-         l’élévation de la proportion des personnes d’âge avancé dans la population

-         la persistance de facteurs de risque reconnus (conduites addictives, troubles psychologiques, accidentologie)

-         nouvelles pathologies souvent liées aux modes de vie (SIDA, légionellose…)

-         diminution de l’offre de soins (fermetures de lits et/ou de services, qu’elles soient définitives ou momentanées)

-         démographie médicale incapable d’assumer la diversification et le vieillissement d’un corps médical qui aspire à une vie professionnelle plus équilibrée (heures de travail quotidien, temps de repos)

 

Au  bout du compte ce que souhaitent les professionnels du secteur hospitalier, c’est bien sûr soigner mieux (mais est-ce encore possible ?), tout au moins ne pas le faire moins bien, et, si les moyens manquent, que nos élus l’expliquent clairement aux citoyens afin d’éclairer leurs choix.

 

Au lieu de cela tout incite aujourd’hui à nous culpabiliser voire à nous mettre en cause. Que penser de la médiatisation à mon sens abusive des infections nosocomiales où l’essentiel est très souvent occulté ?

En effet ces dernières pour les plus mal ressenties relèvent de la chirurgie orthopédique dont les acquis sont indéniables. Les plus nombreuses sont des infections urinaires dans les services de moyen séjour et les plus graves des pneumonies et/ou des septicémies en réanimation. Mais les patients pris en charge dans ces services le sont après un accident grave ou à cause de la défaillance vitale d’un ou plusieurs organes. L’intubation-ventilation artificielle, les cathétérismes veineux souvent nombreux sur des états très fragilisés sont les facteurs pathogènes au contournement bien difficile.(…)

Il est donc injuste de lancer sur le terrain médiatique tel ou tel cas sans la précaution d’une vérification quand au fond du dossier. Un démenti ne sera jamais diffusé dans les conditions de l’affirmation initiale qui aura marqué les esprits.

Si ces mises en cause ne suffisaient pas pour prouver nos insuffisances nous devons supporter le poids des « économistes » auto proclamés de la santé tel un ancien directeur des hôpitaux recyclé dans l’audit des structures médicales dont les doctes avis sont en général bien relayés dans les médias (Jean de Kervasdoue Le Monde novembre 2003).

Ces maîtres conseilleurs prêchent depuis maintenant plus de 20 ans la restructuration nécessaire de l’offre de soins, tout particulièrement publique. La loi hospitalière de 1991 (dont les effets n’ont pourtant été ni inutiles ni négligeables) ne leur suffisait pas. Ils ont applaudi aux ordonnances de 1995 et encouragent aujourd’hui, de fait, les prescriptions Mattéi inscrites dans son plan Hôpital 2007.

De quoi s’agit-il cette fois ?

Entre ce qui est déjà décidé (l’été et l’automne 2003 ont vu le retour ds ordonnances) ce qui pourrait l’être et le sera sûrement … se dessine un avenir préoccupant.

 

Procédures démocratiques affaiblies

 

Sous le prétexte a priori vertueux de la simplification administrative toutes les instances de concertation et/ou de décision se voient (ou se verront) « allégées » de beaucoup de leurs missions et responsabilités au risque de ne plus être que des coquilles vides de toute substance.

Se trouvent ainsi menacées conférences sanitaires de secteur, commission régionale de l’organisation sanitaire et sociale, commission médicale et conseils d’administration d’établissement. Cette évolution se faisant au profit de l’affirmation de la toute-puissance des agences régionales de l’hospitalisation (ARH), les directions des hôpitaux devenant leurs représentants obligés.

Dans le même esprit, et sous le couvert de la décentralisation, l’indépendance professionnelle des médecins est peu ou prou mise à mal avec la remise en cause des nominations nationales des responsables, voire des praticiens sur leur poste d’affectation.

Le système de co-direction - directeur, président de Commission Médicale d’établissement (sorte de CTP des médecins, ndlr), chefs de pôle et/ou de service…-  devrait permettre la mise au pas (définitive ?) des médecins hospitaliers dorénavant pris dans les filets de la gestion des dépenses hospitalières.

Le principe qui, depuis 50 ans, préside à l’exercice médical « une confiance qui rencontre une conscience » sera bientôt une relique à ranger au musée des acquis sociaux de la fin du XXème siècle.

 

La privatisation accélérée

 

La dotation globale instituée en 1984 avait permis de rompre avec le système du prix de journée trop inflationniste et ce n’est pas sans étonnement que l’on voit aujourd’hui ce retour et cette généralisation du paiement à l’acte avec l’instauration de la T2A qui va caler les financements des hôpitaux sur leurs différentes activités alignant les modes de financement public sur ceux du privé.

 

Le système de bail emphytéotique permettra dorénavant à « une personne morale publique ou privée » de « construire ou entretenir un ouvrage correspondant aux besoins de l’établissement public de santé ». Pour la durée du bail (de 18 à 99 ans), celui-ci ne sera plus maître des structures ainsi crées ou aménagées.

 

Les dispositifs de coopération sont revus au seul profit des groupements de coopération sanitaire dont les contours restent flous mais qui visent, sous prétexte de rationalisation, à partager les activités sanitaires entre structures privées et publiques sommées de fonctionner ensemble (de la même manière ?) dans le cadre de rapports de force plus ou moins bien arbitrés par les directeurs d’agence régionale.

 

La disparition programmée des cartes et des secteurs sanitaires (remplacés par de bien vagues pôles géographiques) et le nouveau régime des autorisations (disparition des quotas) laisse mal augurer des critères d’attribution des dotations et font prévoir un affaiblissement de la planification sanitaire.

 

Au fond, se dessine nettement un Etat beaucoup plus directif allégé de ses « lourdeurs démocratiques » au service d’une privatisation généralisée (mode de paiement, locaux) débarassée de tout « carcan administratif ».

 

Dans ce nouveau contexte il est peu probable que les dépenses de santé soient davantage maîtrisées et l’on peut douter que la sécurité sociale puisse assumer seule son rôle de prise en charge des dépenses. C’est dans l’espace dégagé de cette défaillance prévisible que s’inscrira sans doute le projet d’introduire les assurances privées (qui piaffent d’impatience depuis longtemps) engageant notre pays sur la voie américaine … où, comme on le sait, les dépenses de santé n’inquiètent plus les économistes sans doute parce que des millions de gens ne peuvent y prétendre.

 

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