Emploi : le nord sinistré par Claude NICOLET

 

Le chômage repart à la hausse, en particulier dans notre région Nord – Pas de Calais. Partout des annonces de licenciements ou des emplois menacés : POCHECO à Forest sur Marque (30 emplois) – France TELECOM région (300) – RIVAUX à Puisieux (56) – Chaussettes KINDY, deux sites (94), SAINT-MACLOU à Wattrelos (70) – ARC International à Arques et Aires sur la Lys (40) – SAINT-LIEVIN à Tourcoing (550) – STEIN Industrie Energie à Wattrelos et Tourcoing (200) – MAZANCOURT à Seclin (23) – METAL EUROP à Noyelles-Godault (850) – GHEYSEN à Wervicq (43) – S.I. Energie à Lys les Lannoy (117) – LA PIE QUI CHANTE à Wattignies (142) – SOFATI à Roubaix (80) – GRIMAUD Logistique à Seclin (62 et 1270 emplois menacés dans les 35 agences du groupe) – Textile AUCHELAINE à Auchel (11 - délocalisation en Bulgarie) – BTP VAN HAUWAERT à Auchel (20) – Textile MARINER à Auchel (57 – Délocalisation) UGINE A.L.Z. à Isbergues – fermeture de l’usine en 2006 : 1 400 emplois – TESTUT à Béthune (100) – ALTADIS à Lille (500 – délocalisation en Espagne) – COMILOG Boulogne (700 emplois) – ASCOMETAL à Leffrinckoucke (180) – ARCELOR à Dunkerque (376) dont la fermeture complète de son centre de recherche et développement – ARCELOR (149) à Mardyck – ARCELOR (16) à Desvres.

 

Dans la Région Nord - Pas de Calais ce sont plus de 4 500 emplois industriels qui sont supprimés ou menacés depuis le début de l’année. Et encore, dans cette liste ne sont pas concernées les sociétés de moins de 50 salariés.

 

Les raisons des entreprises sont connues : contrecoup des excès boursiers, concurrence des pays à faible coup de main d’œuvre. Une réponse toujours identique : licenciements. C’est la solution la plus facile, la plus performante : " La réduction des effectifs fait figure de décision particulièrement rentable dans la mesure où elle permet de diminuer les coûts assez rapidement ". 1

 

De plus, les réalités humaines sont terribles : " D’une manière générale, un an après un licenciement économique, 60 % des salariés sont encore au chômage, 15 % occupent un emploi (dont 15 % de CDI) et 36 % des salariés n’ont pas retrouvé d’emploi après deux ans" 2

Sur certains secteurs du département du Nord (Bassin de Fourmies) on en est à " Trois générations de chômeurs ".3

 

Et après cela, il faudrait nous satisfaire des paroles du gouvernement ? Il faudrait s’étonner du 21 avril ? Ce que je crois, c’est que d’autres 21 avril sont possibles.

 

Qui ne voit en effet les liens qui existent entre mondialisation néo-libérale, privatisation à outrance, démantèlement des services publics, construction européenne et situations actuelles ? Dire qu’il n’y a aucun rapport, c’est mentir. Dois-je rappeler que ce peuple qui ne comprend rien avait voté très majoritairement non à Maastricht dans le Nord – Pas de Calais. L’histoire lui a t-il donner tort ? Malheureusement non.

 

Impuissance du gouvernement face aux délocalisations d’entreprises, dénonciations des "patrons voyous démagogiques" A Péronne, ce sont les travailleurs de Flodor qui remettent en état l’outil de travail démonté en catimini par leur propriétaire italien.

Le monde du travail est seul, de plus en plus seul face au capitalisme financier qui le dépouille et le vole, de son histoire, en brisant les conquêtes sociales et de ses biens, en confisquant les revenus de la plus value.

1 - Rapport " mutations industrielles " de JP Aubert Octobre 2002.

2 – Rapport sur les mutations économiques de C. Viet janvier 2003.

3 - Diagnostic du Contrat de Ville in Le Figaro du 18 novembre 2003.

 

LMD : UNE LIQUIDATION MASSIVE DES DIPLOMES QUI PARACHEVE LA SAPE DU SYSTEME SCOLAIRE FRANÇAIS.

Après les trois universités pilotes (Valenciennes, Lille II, Artois), douze nouvelles universités ont « basculé » cette année dans l’application du système LMD (« Licence-Master-Doctorat », projet dit d’ « Harmonisation européenne des diplômes »). Or, depuis plusieurs semaines, des universités chaque jour plus nombreuses se mettent en grève ; des étudiants se réunissent en Assemblée Générale : la majorité d’entre nous a bien  compris que les projets du ministre de l’Education Nationale (je maintiens l’adjectif malgré la volonté du gouvernement de le supprimer) sont lourds de menaces pour notre avenir. Monsieur Luc FERRY met en œuvre progressivement (diviser pour régner) une réforme –reprise d’ailleurs à son prédécesseur, monsieur Jack LANG- au nom de l’harmonisation européenne des diplômes (idée intéressante en soi a priori, comme l’idée européenne, mais détestable dans son application). De quoi s’agit-il donc plus précisément ?

 

1.       La réforme LMD-ECTS : l’égalité menacée.

 

« La philosophie fondamentale du dispositif : permettre aux universités françaises, comme le font toutes les grandes universités au monde, de proposer leurs programmes et leurs diplômes ». (Luc FERRY, 14/11/2002).

C’est un véritable bouleversement de l’organisation de l’Université. Aujourd’hui, les diplômes sont nationaux, les maquettes spécifiant les contenus pédagogiques et les volumes horaires sont soumises à une habilitation du ministère et du CNESER (Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche). Le caractère national de ces diplômes garantit l’égalité de tous les étudiants, quelle que soit leur origine géographique, devant l’enseignement supérieur : une licence de lettres a strictement la même valeur qu’elle soit obtenue à Marseille, Paris ou Lille.

En outre, tous les diplômes reconnus dans les conventions collectives et les statuts sont des diplômes nationaux. En effet, eux seuls garantissent une qualification qui donne des droits protecteurs sur le marché du travail (niveau de salaire, grille de qualifications, …)

 

·         ECTS : le système des « crédits transférables ».

 

La réforme ECTS, initiée par M.LANG et mise en place par M.FERRY, vise à instaurer un nouveau système de validation des diplômes et a prétendument pour objectif de favoriser la mobilité des étudiants à travers l’Europe, en instaurant un système de crédits européens (ECTS = european credits tranfert system). « Chaque unité d’enseignement a une valeur définie en crédits ; il faut 180 crédits pour avoir le niveau licence et 300 pour le master ». Bien entendu, tout étudiant ne peut être a priori que favorable à une plus grande coopération universitaire entre les pays d’Europe.

Mais est-ce bien de cela qu’il s’agit ? Il ne peut être question de diplômes européens : les maquettes nationales ne sont pas remplacées par des maquettes européennes, mais sont explosées et régionalisées université par université. M. FERRY le dit lui-même : « Les contenus de formation ne sont plus définis nationalement, c’était une mesure indispensable. Comme dans tous les grands pays les universités proposeront librement leurs programmes. »

 

·         N’importe quelle activité pourra « rapporter »des crédits ECTS.

 

Avec l’ECTS, n’importe quelle activité peut rapporter des points : « enseignements, travail personnel, stages, mémoires, projets, activités artistiques, civiques… », « les lieux de connaissances » sont, dans l’ordre, « les entreprises, les associations, les assemblées politiques et les universités » (discours de M.LANG au CNESER du 23 avril 2001). Ainsi à Saint-Etienne, la mise en place des unités d’enseignement libres permet la prise en compte d’un engagement associatif, s’il est reconnu comme un « bon engagement » : qui va décider de la valeur de l’engagement ? D’une fac à l’autre, les crédits attribués à une matière sont différents. Ainsi, une option latin suivie à l’université de Dijon pourra valoir 6 crédits, alors que la même option suivie à Rennes n’en vaudra que 3.

 

·         Mise en place de « parcours individuels »

 

A partir du moment où les qualifications universitaires (les diplômes) n’ont plus de valeur, sur quels critères les employeurs peuvent-ils se fonder pour embaucher les diplômés ?

La réponse de M.FERRY est simple : il suffit d’ajouter au diplôme une « annexe descriptive » détaillant la façon dont les 180 crédits (pour une licence) ont été obtenus, ainsi que le nom des professeurs dont l’étudiant aura suivi les cours. C’est précisément ce que demandent depuis des années l’Union Européenne et le MEDEF qui veulent substituer les « compétences » (nombre de mois de stages effectués, activités associatives, politiques…) à la qualification certifiée par un diplôme. Cette annexe descriptive instaure une hiérarchisation de fait dans la valeur des diplômes. Il n’est plus question de diplôme national attribué selon des critères collectifs mais de parcours individualisé.

 

·         Permettre la mobilité européenne des étudiants ?

 

Depuis plusieurs années, le nombre de bourses permettant d’aller faire ses études à l’étranger stagne à 12 000 (pour près de 2 millions d’étudiants…). D’autre part, un système d’équivalence entre diplômes nationaux français et étrangers existe depuis très longtemps, avec la « commission d’équivalence », composées d’enseignants qui déterminent à quel diplôme français correspond tel diplôme étranger, et inversement.

 

·         Généralisation de la « professionnalisation »

 

Dès la première année universitaire les étudiants pourront donc, quelle que soit leur discipline, être envoyés travailler gratuitement en entreprise. Après plusieurs stages, l’étudiant aura peut-être la chance d’être embauché par l’entreprise dans laquelle il a travaillé pendant sa formation ; mais si cette entreprise ferme, que vaudra le « diplôme-maison » qu’il y aura obtenu ? Quelles garanties aura-t-il de voir son diplôme reconnu dans une autre firme ? Faudra-t-il retourner à la fac passer un nouveau « diplôme » avec une nouvelle entreprise ? Est-ce cela la « formation tout au long de sa vie » tant vantée par le ministre et par l’Union européenne ? Il s’agit donc non pas  de créer des diplômes européens, mais bien de détruire tous les diplômes nationaux en Europe !

 

·         LMD = Liquidation Massive des Diplômes.

 

La mise en place du schéma Licence-Master-Doctorat (LMD) prétend elle aussi harmoniser l’architecture universitaire européenne. Concrètement en France, un décret du CNESER (26 novembre 2001) indique : « les grades sont le baccalauréat, la licence, le master et le doctorat ». C’est la suppression pure et simple des bacs +2 (DEUG, DEUST, DUT, BTS,…) et bac + 4 (maîtrises..) !

Aujourd’hui, des dizaines de milliers d’étudiants n’atteignent pas la licence et bénéficient d’une sortie diplômante à bac + 2. Avec ces réformes, ils quitteraient l’Université sans aucune qualification après deux ans d’études !

Que va-t-il advenir des formations bac + 2 telles que les DUT pour lesquels, par définition, il n’existe pas de suite à bac + 3 ?

 

2.       Deux mots sur l’autonomie et la « modernisation des universités. »

 

On a vu comment les réformes LMD-ECTS détruisent purement et simplement nos diplômes. Cependant, pour aller jusqu’au bout de la destruction, le gouvernement ne peut pas se limiter aux diplômes, il faut « réformer » les universités qui fonctionnent encore trop comme un service public. C’est précisément l’objet du projet de loi de « modernisation universitaire » qui vise, selon le ministre, à donner plus d’autonomie aux universités ».

En dépit des démentis du ministère sur les intentions de M.FERRY (il sera plus facile, pense-t-il, de faire passer ce projet de loi au moment où les étudiants passeront leurs examens de fin d’année…), on peut dire deux mots de ce projet : l’article 14 (alinéa 4) permettra « la délivrance de diplômes nationaux par d’autres établissements d’enseignement supérieur que ceux qui relèvent de l’autorité ou du contrôle du ministre chargé de l’enseignement supérieur. »

Précisons d’emblée que ce projet de loi complète le plan LMD. Les « diplômes nationaux » évoqués ici ne sont donc pas des diplômes nationaux, mais les « parcours individuels » dont il est question avec LMD et ECTS. Mais en instaurant le droit pour tout établissement d’enseignement supérieur (public ou privé) de délivrer des diplômes, le gouvernement revient sur le principe arraché au début du 19e siècle suivant lequel « l’Etat possède le monopole de la collation des grades et diplômes universitaires. ». Aujourd’hui, en 2003-2004, le ministre FERRY veut revenir sur ce principe républicain et permettre aux facs privées, et pourquoi pas aux Eglises et aux entreprises de délivrer, de nouveau, leurs propres diplômes universitaires. Il s’agit donc de mettre sur un pied d’égalité les « facs privées » (du type « Fac Pasqua » dans les Hauts de Seine, dont les droits d’inscription s’élèvent à plusieurs milliers d’euros par an) avec ce qui restera des universités publiques. C’est la fin de l’université publique.

3.       Analyse personnelle d’ensemble : achèvement de la sape de l’école républicaine.

 

Le projet actuel constitue à mes yeux l’achèvement  de la sape du  système scolaire républicain en France. Depuis la loi JOSPIN de 1989, les redoublements (qui coûtent cher croit-on, vision à très court terme !) sont quasiment interdits : qu’un élève soit bon ou mauvais, il passe dans la classe supérieure. Les chefs d’établissement indiquent aux enseignants la prescription : « pas plus de deux redoublants à l’issue du conseil de classe. Il n’y a pas de place. »

L’autorité des maîtres est ainsi remise en cause par des impératifs politiques masqués derrière des difficultés budgétaires : faire sortir le plus rapidement possible du système des « jeunes » (on ne parle plus d’élèves), sans souci de leur avenir personnel, pas plus que de l’avenir de la République française. Les élèves eux-mêmes perdent tout repère et tout sens de l’effort : à quoi bon travailler si mauvais et bons passent dans la classe supérieure ?  Conséquence imparable : après avoir réformé les écoles primaires, les collèges et les lycées, on veut faire éclater l’université française, et faire disparaître les diplômes nationaux. Précarité, insécurité sociale, main d’œuvre bon marché consommatrice et docile, voilà la voie qui nous est proposée par le gouvernement.

 Un autre chemin est possible pourtant, au cœur duquel l’école jouerait (jouera ?) un rôle de premier ordre : une école ayant les moyens (plus politiques que financiers…) d’instituer tous les élèves (sans distinction de richesse notamment) pour qu’ils deviennent des citoyens qualifiés et revendicateurs,  trouvant leur voie en fonction de leurs capacités, de leurs goûts : ce choix devrait pouvoir être fait en ayant conscience des perspectives d’avenir, ce qui suppose une planification à moyen terme des besoins de la France : on éviterait ainsi de manquer cruellement d’infirmières ou de bouchers comme aujourd’hui par exemple, quand les promotions pléthoriques d’ écoles de commerce ne trouvent pas de débouché…Au cœur de ce projet, il y a des valeurs qui ne sont pas celles de MM. RAFFARIN et FERRY : la liberté (la liberté bien comprise, pas celle qui consiste à pouvoir choisir entre Bouygues, Orange et SFR…), l’égalité et la fraternité.

 Jean-Baptiste MARGANTIN,

Etudiant à Paris IV-Sorbonne (agrégatif de Lettres Classiques).