Paul VIOLET Délégué général de l'académie du gaullisme

 

I -   La régression sociale est la marque de la politique que nous subissons du fait de la mondialisation financière docilement relayée par le gouvernement.

 

Bien sur, la régression sociale n’est pas l’objectif du gouvernement. Mais, elle est la conséquence directe de sa politique.

 

L’économie est en panne, le chômage en hausse, les inégalités se creusent, les services publics sont sacrifiés.

 

Face à cette situation, le gouvernement s’en tient à une attitude qui est dans le droit fil de la mondialisation libérale :

 

1°) Il attend. Il attend que la croissance revienne aux Etats-Unis et veuille bien traverser l’atlantique pour bien vouloir venir en Europe.

 

 2°) Il a une politique fiscale qui consiste à annoncer une baisse des impôts, en elle-même d’ailleurs politiquement scandaleuse, mais qui constitue en outre une imposture, face à l’explosion des impôts locaux, des tarifs des services publics, des taxes sur le tabac, l’essence,  qui vont bien au-delà de la supposée baisse fiscale.

Les prélèvements obligatoires augmentent, l’Etat, d’un côté se défausse sur les collectivités locales, de l’autre privilégie les classes les plus aisées au détriment des autres, selon l’adage, prenons plutôt aux pauvres qu’aux riches, ils sont plus nombreux.

 

3°) Le gouvernement continue son offensive libérale  d’envergure  dont l’ un des objectifs principaux  est de marchandiser et de privatiser par étapes l’ensemble du domaine social.

 

Après la contre-réforme sur les retraites qui va faire baisser leur niveau pour mieux les privatiser ensuite grâce aux fonds de pension,  l’offensive contre la Sécurité sociale s’annonce de même nature  : pour combler les déficits, pas d’autre solution que de la privatiser par étapes successives.

 

Ce qui d’ailleurs, est parfaitement cohérent à partir du moment ou la décision politique est prise de faire supporter les charges par les salaires en épargnant le capital qui n’est en rien mis à  contribution.

 

Les salariés doivent payer de plus en plus, seuls, alors que depuis 15 ans, la part des salaires a reculé de 11 points par rapport à celle des profits.

 

Et que ceux qui tiennent les manettes maintiennent et aggravent cette tendance !

 

On est bien dans le schéma sans surprise du libéralisme et de la mondialisation financière qui veulent enfermer l’ensemble des rapports humains dans des logiques de marché, et faire en sorte que le mercantilisme n’épargne aucune sphère de la société.

 

Même chose sur le plan international où sont détruits ou fragilisés des pans entiers de notre industrie par la concurrence avec des pays qui ne respectent aucune des normes auxquelles nous sommes astreints, qu’il s’agisse des normes sociales, les plus importantes, ou des normes environnementales.

 

Du côté de l’Europe, je pense qu’il n’y a pas d’espoir à attendre car il est clair aujourd’hui que les institutions européennes , l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, relayent ce système financier mondialisé comme l’atteste la mise en cause aussi bien de nos services publics que de  nos acquis sociaux.

 

Il n’y a pas d’Europe sociale, qui ferait contrepoids à la prépondérance du marché, pas de gouvernement économique, pas de démocratie, pas de transparence.

 

Cette Europe a pris le parti des lobbies contre les peuples, des consommateurs contre les citoyens, le marché plutôt que les travailleurs.

 

II -      Or,  face à cette situation, comme il a été dit tout à l’heure, on constate qu’il  existe une résistance de plus en plus forte à la mondialisation.

 

Les français sont de plus en plus nombreux à comprendre le processus de régression  sociale dans lequel notre pays est engagé.

 

Ils comprennent, en particulier, que  la mondialisation libérale,  menace directement le monde du travail,  les salariés, soit 88% de la population active !

 

Et ils sont de plus en plus nombreux à refuser que la mondialisation financière soit présenté comme l’horizon indépassable comme si le développement économique pouvait avoir un sens en dehors du progrès social.

 

Le rassemblement du Larzac montre que la France anti-libérale se renforce.

 

Ces succès inquiètent d’ailleurs les forces libérales qui misent sur la division, l’émiettement et l’impuissance à traduire politiquement ces mouvements.

Néanmoins, ils sont inquiets car ils voient bien que de plus en plus se  créent les conditions d’un renouveau politique.

 

Nous sommes, en effet, dans une position, une situation, un peu paradoxale parce qu’il y a une demande politique qui s’exprime de plus en plus fortement, mais malheureusement, pour l’instant, il n’y a pas d’offre qui arrive a être formulée.

 

Ceci parce que les forces anti-libérales sont désunis et n’ont pas réussi à mettre en évidence ce qui les rassemble au détriment de ce qui les divise.

 

Aujourd’hui la gauche se présente grosso modo sous 2 pôles : un pôle politique et un pôle social, chacun de ces deux pôles étant lui-même divisé.

Le pôle politique comprend un parti socialiste gestionnaire et majoritairement socio-libéral, une extrême-gauche radicale elle-même d’ailleurs assez composite, et une mouvance républicaine, laïque et sociale.

 

Le pôle social lui, comprend les syndicats d’un côté, les réseaux associatifs parmi lesquels les mouvements alter mondialistes et les mouvements autonomes de l’autre.

De plus en plus est ressenti le besoin d’aller au-delà de cette distinction trop étanche, de briser le cloisonnement trop rigide entre politique, social, syndical, associatif.

Il y a une volonté de vouloir  réconcilier la gauche politique et la gauche sociale, de ne plus  accepter l’idée d’un partage des rôles figé : aux uns l’action et le mouvement social, aux autres l’élection et le gouvernement.

 

Je souhaite que l’élection politique devienne un moment important qui soit au service des causes  défendues par le mouvement social et non pas l’inverse, c’est à dire, les mouvements sociaux au simple service des appareils électoraux.

 

C’est la raison pour laquelle la question du débouché politique au mouvement social, de sa traduction politique, de sa concrétisation politique, se pose avec acuité.

C’est la question centrale.

En tout cas, il convient d’abord de bien se mettre d’accord sur cette nécessité de donner un prolongement politique, un prolongement électoral au combat que nous menons tous les uns et les autres pour la justice sociale.

Cette nécessité n’est pas reconnue par tous.

 

Il y à  en effet une idée nouvelle  qui se répand de plus en plus chez certains, consistant à refuser d’aborder cette question, à renoncer à trouver un débouché politique au Mouvement social, à se détourner du combat politique et des partis.

 

Dans le mouvement social, et chez les alter mondialistes en particulier, un certain nombre, José Bové par exemple, ne croit pas ou ne croit plus au jeu des partis ni à l’efficacité de l’Etat.

 

Ils considèrent que, peu importe qui gouverne, peu importe qui veut prendre le pouvoir, la réalité c’est les luttes, les luttes dans les champs d’OGM, au Larzac ou à Cancun que se dessine un monde nouveau.

 

Pour eux, le PS ayant trahi, l’extrême gauche étant incapable de gouverner, l’alternance étant un leurre, l’alternative une perspective impossible, il ne reste qu’à se contenter des luttes, des grèves, des manifs, sans véritable autre horizon que l’agitation perpétuelle.

 

Changer le monde sans prendre le pouvoir, de John Holloway, nouveau bréviaire des alter mondialistes

 

Cette théorie théorise la vanité du combat politique,  pousse à la déconsidération de la politique et donc, peu ou prou, du système démocratique, le pire des systèmes, comme chacun sait, à l’exception de tous les autres.

 

Ils prônent une mobilisation sociale  autonome vis-à-vis du politique, voire hostile à celui-ci, sans voir qu’une telle attitude revient, de fait, à déléguer aux partis existants le monopole du politique tels qui existent aujourd’hui, tels qui fonctionnent aujourd’hui, et à les conforter ainsi dans leurs habitudes actuelles qui, je pense, trouveront assez peu de défenseurs aujourd’hui.

 

Il faut être conscient que chaque fois qu’il y a dépolitisation, c’est la gauche qui en souffre la 1ère, qui est frappée  en plein cœur.

 

Chaque fois que la politique recule, c’est la justice sociale qui en pâtit.

 

De même que le lien est direct entre  la résistance à la mondialisation libérale et la question sociale, de même le lien est direct entre la réhabilitation de la politique et le progrès social.

 

 

III -  Si donc nous sommes d’accord pour essayer de rassembler les forces de gauche, si nous sommes d’accord sur la nécessité prioritaire de trouver une traduction politique au mouvement social pour répondre à l’espoir et à la demande d’une grande partie de nos concitoyens, quelle méthode utiliser ?.

 

Sans doute faut-il aller  pas à pas, chercher le  commun dénominateur qu’il y a chez tous les mouvements sociaux et politiques contre la mondialisation libérale :

 

Première question : existe-t-il un  fondement commun idéologique ou politique au combat mené par tous contre la mondialisation financière ?

 

Est-il possible d’ esquisser les contours d’un projet programmatique susceptible de recueillir l’assentiment du plus grand nombre ?

 

 1ère question, existe-t-il une valeur, forte et mobilisatrice qui soit commune à l’ensemble des forces qui combattent la mondialisation financière ?

 

Je le crois.

 

Pour s’en convaincre il faut écouter cette rengaine de millions d’électeurs : à quoi donc servent les urnes face aux marchés financiers qui eux gouvernent désormais notre vie ?

 

L’impuissance politique face à la toute puissance de l’économie est aujourd’hui acquise dans toutes les têtes.

 

De fait, au nom d’un libéralisme dévastateur, l’Etat a lâché le gouvernail de la république, laissant d’autres s’en saisir : les marchés financiers, les technocrates, les eurocrates, les experts, les juges,  les organismes internationaux ou nationaux, multiples et soi-disant indépendants, indépendants surtout du contrôle et de la volonté populaire.

 

Nous sommes dans une démocratie d’apparence, dans une oligarchie de fait, c'est-à-dire, du pouvoir d’une minorité sur la majorité, minorité qui n’est ni désignée ni contrôlée démocratiquement.

 

La démocratie suppose le libre choix par la majorité de ses représentants, mais suppose aussi que ces représentants disposent réellement du pouvoir politique leur permettant d’appliquer les décisions de leurs mandants.

 

Sinon, c’est une imposture et le régime n’est pas véritablement démocratique.

 

Mais je crois que c’est la situation que nous connaissons aujourd’hui.

 

C’est cela qu’il faut changer !

 

Il n’y a pas d’alternative possible sans  remise en cause radicale de ce processus qui a vidé la démocratie de sa substance en coupant l’immense majorité de la population des processus d’élaboration, de décision et de contrôle.

 

Ce n’est pas d’abord de nouvelles pratiques démocratiques qu’il faut imaginer, c’est d’abord la restauration de la démocratie elle-même.

 

J’observe d’ailleurs que la dénonciation de la disparition de la démocratie  du fait de la mondialisation financière, provoque une réplique qui est en train d’évoluer rapidement.

 Au début, les libéraux niaient le constat : pas du tout, la démocratie n’est pas attaquée.

Aujourd’hui, le libéralisme progressant, le discours change : de plus en plus les libéraux justifient la disparition de la démocratie.

A leurs  yeux , en effet, le peuple est, dans ses profondeurs, incapable, inconscient des défis, des exigences de l’évolution et du progrès. Il est donc disqualifié.

Et le régime démocratique, inadapté au exigences du monde moderne.

 

Je crois que la démocratie est une valeur suffisamment forte, une référence suffisamment partagée, pour justifier de nous rassembler le plus largement possible dans un combat commun.

 

Ce peut être la valeur commune de l’ensemble de nos sensibilités. L’enjeu commun doit donc bien être de reconquérir un véritable pouvoir démocratique, de retrouver la prépondérance de la politique, expression de la volonté collective, et la subordination de l’économie, seule garante de l’intérêt général.

 

On ne peut pas parler de démocratie sans évoquer une question qui est parfois une pierre d’achoppement, celle de la nation, et plus précisément de l’Etat-Nation.

 

Les pro-mondialisation et  certains anti-mondialisation se rejoignent en effet sur l’idée que, tant d’un point de vue économique que politique, la dimension nationale est obsolète pour appréhender les enjeux du monde, qu’elle est dépassée, assimilée à l’égoïsme, à l’inefficacité.

 

Or, qu’on le veuille ou non,

 jusqu’à présent, la nation reste le cadre essentiel et irremplaçable pour la formation de la volonté collective.

jusqu’à présent, l’Etat-nation demeure l’unique cadre d’expression démocratique.

 

Refuser cette réalité équivaut à s’exclure de tout système représentatif fondé sur l’élection, c’est-à-dire sur la souveraineté populaire.

 

J’entends bien certains dire que l’échelon national est désormais inadapté, l’exemple étant donné de la Taxe Tobin.

 

La stratégie consistant à considérer qu’une mesure aussi symbolique que cette la taxe  doit être universelle ou ne  pas être, conduit à coup sur à la neutraliser.

D’ailleurs son rejet par le Parlement européen au printemps 2000 a bien montré ce qu’il fallait attendre des instances représentatives supra nationales.

 

Il semble préférable de rechercher l’adoption de la taxation des capitaux spéculatifs par un Parlement national qui ouvrirait la voie à sa généralisation progressive par d’autres pays.

On argue souvent que ce schéma est impossible dans la mesure ou une prise de position  nationale, isolée sur la scène internationale, aboutirait immanquablement à une fuite massive des capitaux et à une crise financière aigu pour le pays franc-tireur.

C’est oublier que toutes les nations n’ont pas le même poids et que certaines peuvent imposer leurs lois aux investisseurs étrangers sans pour autant les dissuader.

Les 35 heures n’ont pas empêché Toyota de venir installer en France son principal site industriel européen.

Et les secousses boursières qui ont affecté Coca Cola en juin 1999 après la décision française de retirer de la vente des millions de canettes présumées toxiques dans les départements du Nord ont montré qu’une gigantesque multinationale pouvait pâtir des décisions du gouvernement d’une nation de 60millions d’habitants.

Tout simplement parce que la France, c’est aussi 60 millions de consommateurs, presque tous solvables grâce au mécanismes de redistribution sociale. La Chine en a t elle autant aujourd’hui ? Voici une réalité qui n’échappe certainement pas aux analystes financiers.

 

Qu’on le veuille ou non, la démocratie est donc pour l’instant indissociable du cadre national.

 

Et c’est la raison pour laquelle la mondialisation financière fait de l’Etat-Nation sa cible privilégiée.

 

Par le haut, en enfermant les nations dans des contraintes qui échappent à la décision populaire.

 

Mais aussi par le bas, par la décentralisation excessive, par la régionalisation qui fait éclater le cadre national, seul échelon véritablement  politique, seul échelon d’expression de la volonté populaire

 

Il s’agit de transformer les politiques en simple gestionnaire locaux et territoriaux,

de les dessaisir du pouvoir politique réel, lequel est transféré dans des sphères qui échappent à la désignation comme au contrôle démocratique.

 

Il est temps que, parmi les anti-libéraux, ceux qui divergent quant à la question nationale,  se retrouvent sur ce point pour associer leurs forces .

 

Cela permettrait à certains de  réintégrer le  champ démocratique,  et aux autres de prendre davantage conscience du caractère planétaire de certaines questions.

 

L’ enjeu commun doit donc bien être de reconquérir  un véritable pouvoir démocratique, de retrouver la prépondérance de la politique, expression de la volonté collective, et la subordination de l’économie au politique, seul garant de l’intérêt général.

 

 

IV -  L’enjeu idéologique du combat politique anti-libéral étant défini, peut-on franchir une autre étape ?

 

Le rassemblement à gauche n’est possible que si, au-delà du combat pour le rétablissement d’une vraie démocratie, il propose un contenu social et politique rompant clairement avec le libéralisme.

 

C’est un projet social à dessiner collectivement qui ne peut se faire ni dans la soumission des organisations du mouvement social aux partis, ni dans leur mutuelle ignorance.

 

Un travail politique commun est nécessaire, chacun est légitime pour le conduire, tous sont indispensables à son élaboration.

 

 Les propositions doivent montrer que les politiques libérales ne sont pas les seules possibles, contrairement au dogme libéral qui se veut fatal, incontournable, inéluctable.

 

Les pistes d’un tel programme sont connues, il suffit de s’inspirer des convictions classiques de gauche ;

la capacité de nous émanciper collectivement et personnellement des puissances économiques,

la force de la démocratie pour dominer les intérêts privés,

assurer la primauté de l’intérêt général,

 et enfin la recherche obstinée de l’égalité pour assurer un progrès partagé.

 

Sur la base de ces principes, il existe  certainement  une majorité d’idées à gauche qu’il faut identifier, dégager.

 

Trois idées minimales peuvent définir une politique économique de  gauche :

 

-        la redistribution

-        le contrôle public de l’investissement stratégique d’intérêt national,

-        une politique macro-économique volontariste permettant d’atteindre le plein emploi.

 

En conséquence, sur le programme, il peut y avoir un consensus qui se dégage :

 

-        le contrôle public de l’administration des choses à travers la redistribution : la retraite par répartition et la Sécurité Sociale,

-        la défense des services publics respectant le principe de l’égalité républicaine (contradictoire avec la décentralisation-régionalisation),

-        la recherche d’une nouvelle assiette de financements de la protection sociale,

-        le refus des privatisations,

-        l’affirmation du rôle central du secteur public,

-        la réhabilitation de l’impôt et de la cotisation sociale

 

Tout cela délimite quelques chantiers d’une autre politique possible.

 

 

La volonté de mettre la politique aux postes de commande,  par le rétablissement d’un vrai pouvoir démocratique, dont le progrès social constitue l’axe stratégique, le développement du service public, le combat pour l’égalité et la laïcité forment ainsi à la fois une méthode et une contribution concrète à l’élaboration d’une alternative au libéralisme.

 

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