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            Claude DEBONS. Secrétaire Général de la FGTE CFDT 
              
            Les salariés sont-ils désabusés ? Si l’on 
            regarde les votes du 21 avril, on peut penser qu’ils le sont de 
            manière inquiétante. Si l’on regarde la mobilisation sociale de ce 
            printemps sur les retraites ou le très large rassemblement   du 
            Larzac cet été on peut penser qu’il y a  des raisons d’espérer. Ceci 
            dit il ne faut pas se masquer le poids dont pèsent les tendances 
            lourdes depuis plusieurs années dans les évolutions du salariat et 
            dans la manière dont le salariat peut se positionner sur le plan 
            politique. 
              
            C’est vrai que par rapport au 21 avril, 
            qu’il s’agisse du vote Front national, de l’importance de 
            l’abstention et l’engrenage qui a conduit le candidat de la gauche a 
            ne pas être au second tour, on a mis parfois l’accent sur des causes 
            immédiates. Ce vote est alors attribué aux déceptions vécues par 
            rapport à la politique menée, à l’incapacité de répondre aux 
            questions essentielles du chômage de masse, de l’emploi et sans 
            doute aussi au terrain piégé qu’à pu être le débat sécuritaire.  On 
            a pu aussi mettre l’accent sur des effets contradictoires de 
            réformes sociales, historiquement positives, comme les 35 heures, 
            mais dont les modalités 
            d’application ont pu avoir des effets très diversifiés selon les 
            catégories de salariés, selon les catégories d’entreprises. 
              
            Mais si l’on réfléchit sur une période plus 
            longue, on est obligé de mettre en lumière des tendances 
            lourdes pour expliquer qu’une majorité d’ouvriers et d’employés ne 
            se sont plus reconnue dans ce qui était, historiquement, leur camp 
            politique traditionnel : la gauche et le mouvement ouvrier.  Ce 
            n’est évidemment pas les déceptions d’une législature qui suffisent 
            à rendre compte de l’ampleur du phénomène. C’est l’aboutissement 
            d’un processus qui vient de plus loin. 
              
            Il y a une première explication qui peut 
            être le bilan contrasté, du point de vue du salariat, des politiques 
            menées par les différents gouvernements de gauche. En particulier le 
            tournant de la « rigueur » de 1983, c’est à dire l’acceptation à 
            partir de cette date d’un certain nombre de renoncement, d’une 
            atténuation de l’ambition politique, de l’accompagnement du 
            libéralisme, au nom du caractère prétendument incontournable des 
            contraintes de la mondialisation n’a pu que désorienter et décevoir 
            le monde du travail. L’expression la plus avancée de l’acceptation 
            du cadre libéral est exprimée par Michel ROCARD quand-il déclare que 
            «le capitalisme a gagné la bataille du XXIe siècle » contre les 
            différentes variantes du socialisme et, qu’à partir de là, il ne 
            sert plus à rien de porter des utopies de transformation de la 
            société. Il faudrait se contenter d’atténuer à la marge les dégâts 
            sociaux les plus importants,  tout en s’inscrivant dans le cadre 
            politique dominant désormais déterminé par ce qu’il considère être 
            comme la victoire du capitalisme et que d’autres ont appelé la fin 
            de l’histoire !   
              
            Il y a deux phénomènes majeurs, me 
            semble-t-il, qui expliquent aujourd’hui les phénomènes politiques 
            qui traversent le salariat. 
            Le premier ce sont les effets de  
            déstructuration sociale engendrés par la montée du chômage et de la 
            précarité de l’emploi. Cette fragmentation du salariat a contribué 
            à son affaiblissement, à sa situation défensive, qui se sont 
            traduites par une vague de désyndicalisation très importante tout au 
            long des années 80. Cela a abouti à ce que le salariat ne soit plus 
            en capacité d’une part de résister à l’offensive libérale dans les 
            entreprises et, d’autre part, d’être une force motrice du point de 
            vue de la transformation sociale. Rappelons-nous que les années 80 
            avaient connu toute une série de défaite sociale face aux grandes 
            restructurations industrielles, face aux fermetures d’entreprise (la 
            sidérurgie, l’automobile, etc.). Donc il y a eu le poids du chômage, 
            le développement de la précarité de l’emploi, plus la flexibilité, 
            les délocalisations, les phénomènes de sous-traitance etc., bref il 
            y a eu, tout au long des années 80 et 90 une vraie fragmentation 
            sociale de ce que l’on appelait la classe ouvrière.   
              
            D’autre part il y a un affaiblissement 
            politique au sens où la classe ouvrière n’est plus aujourd’hui, dans 
            les représentations collectives, la classe investie  de la mission 
            d’émancipation de toute la société à travers sa propre 
            émancipation ? C’était le discours marxiste, socialiste, dominant il 
            n’y a pas encore si longtemps dans notre pays mais aussi à l’échelle 
            mondiale. Le combat de la classe ouvrière pour son émancipation 
            devait engendrer l’émancipation de toute la société ! C’est clair 
            que cette représentation politique là a été mise à mal par 
            l’effondrement du mur de Berlin, par l’effondrement de ce qu’étaient 
            les pays de l’Est. Même si nous n’étions pas convaincu que le modèle 
            de société représenté par le bloc soviétique était un modèle 
            acceptable, il n’empêche qu’il était à un moment donné la 
            représentation d’une partie du combat du mouvement ouvrier, 
            l’incarnation que l’au-delà du capitalisme était possible, même si 
            cet au-delà ne répondait pas aux attentes sociales. Cet effondrement 
            la, et la capitulation des social-démocraties européennes devant 
            l’offensive libérale au cours des années 80-90, ont engendré un 
            énorme désarroi idéologique dans ce qui était la classe ouvrière, le 
            salariat.   
              
            La combinaison de ces deux phénomènes : la 
            fragmentation et l’affaiblissement social d’une part, le désarroi 
            politique et idéologique d’autre part, ont eu des 
            conséquences importantes sur la vague de désyndicalisation des 
            années 80 qui a quand même divisé par deux le nombre de syndiqués ; 
            mais aussi du point de vue de la représentation politique avec 
            l’effondrement du Parti communiste, historiquement   présenté comme 
            le parti de la classe ouvrière, avec le fait que le  Parti 
            socialiste ne draîne plus l’essentiel du vote ouvrier et avec le 
            déport d’une fraction importante du vote ouvrier vote ouvrier vers 
            l’extrème-droite. Ces phénomènes on aussi été nourris par le 
            sentiment que le politique ne peut plus s’opposer aux forces 
            dominantes du marché. La discours de  Lionel JOSPIN, confronté aux 
            licenciements chez Michelin illustre bien le sentiment d’impuissance 
            donné par le politique. 
              
            Cette situation a aussi contribué à la forte 
            distanciation entre le politique et le social que l’on observe 
            aujourd’hui. Il est clair que l’on peut avoir un mouvement social 
            puissant comme sur les retraites, on peut avoir un mouvement 
            alter-mondialiste qui se développe depuis quelques années (Seattle, 
            Porto-Alègre, le Larzac…) et qui a été d’un apport considérable pour 
            contester la mondialisation libérale et pour faire bouger les termes 
            de débat par rapport à la fatalité de la domination des marchés 
            financiers, de la libéralisation, etc. et, en même temps, ces deux 
            mouvements, qui posent des questions politiques, entretiennent un 
            rapport de méfiance avec les partis politiques.   
              
            L’affaire des retraites l’illustre 
            clairement : vous avez un mouvement social fort, vous avez un 
            mouvement syndical (même s’il s’est divisé en fin de parcours 
            notamment à cause de la confédération CFDT) qui a été en capacité, à 
            la différence de 95, de mettre en avant dans la plateforme unitaire 
            un certain nombre de propositions alternatives par rapport à la 
            réforme à dominante libérale . Il y avait les éléments dans le 
            mouvement syndical, d’une contre-réforme des retraites, 
            d’une réforme progressiste des retraites. Le débat parlementaire 
            ensuite, sous forme d’une guérilla à coup de milliers d’amendements 
            n’a guère éclairé les citoyens. Si vous demandez aujourd’hui aux 
            citoyens sur quoi les partis de gauche ont bataillé en terme 
            d’amendements, sur quels points fondamentaux ils ont fait entendre 
            leur différence, ils ont du mal à faire le tri. Une bataille 
            politique plus claire autour de quelques grands enjeux aurait sans 
            doute permis de mieux faire apparaître les différences entre la 
            gauche et la droite et, peut-être de commencer à réduire la 
            distanciation avec le politique.   
              
            Mais si vous prenez le mouvement 
            alter-mondialiste, il y a, là aussi, une grande méfiance, une grande 
            distance entre la mobilisation citoyenne qui se fait en protestation 
            de l’ordre existant, entre les propositions que commencent à 
            élaborer des mouvements comme ATTAC, sur les services publics, 
            l’OMC, etc, et la frilosité des expressions politiques dominantes à 
            gauche. Il est clair que à la fois la puissance des mouvements 
            alter-mondialistes et anti-capitaliste, les manifestations de Gênes, 
            le forum social de Florence et le réveil du mouvement ouvrier 
            traditionnel que l’on peut observer dans certains pays constituent 
            des ingrédients de résistance sociale en train de renaître en 
            Europe. La difficulté c’est la traduction politique de tout ça. 
            C’est un vaste chantier qui prendra du temps et, en même temps, le 
            temps presse face au risque de voir le Front National profiter de la 
            situation pour se présenter en alternative.   
              
            Il y a des batailles qui nous attendent 
            maintenant.   
            Ilest clair que l’offensive du gouvernement 
            peut nous permettre de travailler les convergences entre mouvement 
            social, mouvement alter-mondialiste et mouvement politique. 
            L’offensive du gouvernement RAFFARIN vise rien moins que le 
            démantèlement du pacte social de 1945 fondé sur le tryptique : 
            service public fort, protection sociale solidaire, Etat social 
            régulateur du marché et garant de l’égalité républicaine. Celle-ci 
            sera mise à mal à travers une décentralisation à la carte 
            génératrice d’inégalités. Un tel enjeu devrait nous mobiliser et 
            permettre des convergences. 
              
            La deuxième question, c’est le projet de 
            constitution européenne qui arrive. L’enjeu européen ne doit pas 
            être minoré comme semble le faire Georges SARRE dans son message. 
            Face à  la mondialisation libérale, je pense que les réponses 
            nationales sont aujourd’hui devenues insuffisantes, qu’on a besoin 
            d’un cadre européen qui soit un cadre de résistance à la 
            mondialisation. Aujourd’hui le cadre européen joue un rôle inverse, 
            celui d’un vecteur de la mondialisation libérale. La position de la 
            Commission européenne dans les négociations à l’OMC l’illustre bien. 
            Il ne faut pas s’y résigner et mener bataille à l’échelle européenne 
            pour faire changer la logique actuelle de la construction 
            européenne. Dans le projet de constitution européenne il y a un 
            volet économique et social qui constitutionalise les politiques 
            économiques libérales. On garantie dans la constitution le principe 
            de concurrence libre, et diverses mesures de politique économique et 
            sociale d’inspiration libérale. C’est-à-dire que, par le biais de 
            cette constitution, on fait échapper à la volonté des citoyens des 
            questions qui ne sont constitutionnelles dans aucun Etat 
            démocratique développé, des questions qui relèvent en général du 
            débat politique, de choix de politique économique et sociale qui 
            s’effectuent à l’occasion des élections. Donc là aussi il y a un 
            enjeu qui concerne le mouvement syndical, le mouvement associatif et 
            les partis politiques qui, chacun dans leurs domaines respectifs de 
            responsabilité, ne renoncent pas à l’objectif de transformation 
            sociale, pour qui réforme continue à rimer avec progrès social et 
            non avec contre-réforme libérale.   
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